Née à Chefchaouen vers 1493, elle appartient à une famille de renom, rattachée à la filiation de Moulay Abdeslam ben Mchich, grand saint du Mont Allam en pays Jbala. Son père n’est autre que Ali ben Moussa ben Rachid, fondateur en 1471 de la ville de Chefchaouen dans un contexte général marqué par la fragilité des sultans wattassides, la Reconquista en Andalousie et l’occupation par les Ibères de plusieurs villes côtières. Quant à sa mère, Zahra Fernandez, elle est d’origine espagnole, issue de Veger de la Fronteira dans la province de Cadix, épousée par son père durant ses opérations militaires à Grenade et convertie à l’Islam de même que son frère Martin Fernandez, rebaptisé depuis, Ali Fernando.Les sources restent muettes sur des pans entiers de son enfance. Même son prénom ne fait pas l’unanimité donnant tantôt Fatima, tantôt Aïcha, mais imposant pour tous son surnom de Sitt Al-Hurra, littéralement «La Dame Libre».Concernant ce surnom d’Al-Hurra précisément, certains auteurs l’assimilent à la liberté de sa condition, tandis que d’autres y voient un prénom à part entière, figurant en tant que tel sur son acte de mariage, inspiré probablement par la célèbre figure éponyme de la reine de Grenade.Quoi qu’il en soit, Al-Hurra est douée, selon toutes les sources arabes et chrétiennes, d’une grande intelligence et d’une éducation sans faille. Maîtrisant la langue espagnole par sa mère, elle reçoit sa formation par les plus grands savants de son époque à Chefchaouen, ville-Etat imposée comme une forteresse pour les tribus avoisinantes et comme un centre de résistance contre les Portugais qui occupaient alors les villes voisines de Sebta, Tanger, Asilah, Larache…Sans doute faut-il voir dans l’union d’Al-Hurra en 1510 avec le deuxième gouverneur de Tétouan Mohamed Al-Mandari, une consolidation des relations entre deux familles d’influence, faisant front commun contre l’occupation chrétienne.Car Mohamed Al-Mandari, premier époux d’Al-Hurra, n’est autre que le neveu et successeur du grand chef militaire grenadin Abou-l-Hassan Ali Mandari. Ce dernier, réputé pour sa bravoure contre les Castillans, natif de Ronda était installé à Grenade où il occupait la fonction de gouverneur de la forteresse de Pinàr sous le règne des princes Beni Lahmar, avant de s’établir, avec la chute de cet émirat, d’abord à Martil, puis à côté des ruines de Tétouan, détruite quatre-vingt-dix ans auparavant par la flotte de Henry III de Castille. Recevant l’autorisation du sultan wattaside Mohamed Cheikh et de l’émir de Chefchaouen de reconstruire Tétouan, le chef de guerre grenadin, Abou-l-Hassan Ali Mandari fit de cette ville une terre d’accueil pour les Andalous et une base de lutte contre les occupants Ibères.A sa mort vers 1493, Al-Mandari est succédé par son petit-fils qui gouverna Tétouan et les tribus alentours, poursuivit la lutte contre les Ibères, en s’illustrant par la même vaillance que son grand-père.C’est donc à Tétouan qu’était désormais établie Sitt Al-Hurra, retrouvant dans cette cité, à l’instar de son Chefchaouen natal, un raffinement urbain propice à l’épanouissement et un engagement politique déterminant.Si certains auteurs pensent qu’Al-Hurra a corégné sur Tétouan auprès de son mari depuis leur union en 1510, c’est certainement avec la mort de celui-ci en 1529 qu’Al-Hurra gouverna sans partage.A l’aide de son armée et de son arsenal, elle dirigea le trafic naval et les entreprises corsaires dans l’ouest de la Méditerranée, après avoir conclu des accords avec le fameux amiral-corsaire basé à Alger, Khaïr-Eddine (dit Barberousse) qui contrôlait quant à lui la partie orientale. C’est ainsi que les corsaires d’Al-Hurra ont causé des dommages aux navires portugais de la ville de Sebta occupée et aux flottes ibères de passage dans le détroit de Gibraltar.Parmi ses autres faits-d’arme: la capture de plusieurs prisonniers dont elle put négocier la libération avec les Portugais. Le succès de ses activités a fini par conduire le sultan Ahmad Al-Wattasi à demander sa main en 1541. Un mariage politique dont la cérémonie se déroula, contrairement à tous les usages, à Tétouan et non dans la capitale royale Fès. C’est d’ailleurs à Tétouan qu’elle continua à résider, chargée par son époux des relations avec les Portugais jusqu’en 1542, date de son éviction par un membre de l’aristocratie grenadine, Mohamed Hassan Mandari, des suites de ses démêlés avec le gouverneur portugais de Sebta.Finissant ses jours dans son berceau chefchaouni, Sitt Al-Hurra sera inhumée dans la zaouïa Raïssouniya où son tombeau était particulièrement visité par les femmes. Ainsi s’achève ce bref portrait d’une figure emblématique qui dirigea temporellement des hommes et mena des opérations jihadiennes relevant du domaine spirituel, battant en brèche l’image fantasmagorique entretenue sur la femme musulmane et affirmant par-là, son rôle dans l’édifice civilisationnel.